5 – De la dépendance à l'autonomie :
A - Avant la naissance :
Le développement cérébral débute
dès les premiers mois de la vie intra-utérine et se poursuit jusqu’à l’âge de 25 ans environ. Les premiers neurones se forment à partir du 28e jour, puis un développement explosif débute :
260 millions de neurones naissent
chaque jour jusqu’au septième mois de grossesse. On estime aujourd’hui le nombre de neurones à la naissance à 100 milliards
(voir : Développement du cerveau).
A partir de la septième semaine, ce sont les
connexions synaptiques qui vont s’intensifier. A raison d’
un million de connexions par seconde, la vitesse maximale sera atteinte entre un et trois ans, lors des interactions avec l’environnement et des premiers apprentissages.
Au cinquième mois de grossesse, l’augmentation du volume cérébral va également dépendre de la formation de la gaine de myéline autour des axones. Cette gaine isolante va permettre de multiplier par 100 la vitesse de transmission des informations (d’un mètre par seconde à 100 m/s), condition indispensable aux apprentissages.
À l’époque où la connaissance du monde reposait avant tout sur l’observation et la formulation d’hypothèses, le philosophe anglais John Locke, dans son « essai sur l’entendement humain » (1690), soutenait, qu’à la naissance, l’esprit de l’enfant est une page blanche.
Trois siècles plus tard, les découvertes en neurosciences démontrent que l’apprentissage
débute déjà au cours de la vie fœtale. Durant cette période, le goût du fœtus va se former grâce aux molécules qui lui parviennent de l’alimentation de la mère. C’est aussi durant cette période que le foetus commence à distinguer les sons dont certains vont devenir familiers.
C’est grâce à cet apprentissage, commencé in utero, que le bébé se montre capable de différencier sa langue maternelle d’une langue étrangère dans les heures qui suivent sa naissance.
« Le potentiel du bébé se développe bien avant la naissance. »
B – Après la naissance :
Nous savons que les premiers mois sont des moments d’intense organisation neuronale. Aussi, même si ce rythme se ralentit, on considère que
200 000 nouvelles synapses sont créées chaque minute au cours des premières années !
a - Les débuts de l’apprentissage du langage :
Il y a une vingtaine d’années, des chercheurs ont fait une découverte majeure qui leur a permis de découvrir que le bébé n’était pas celui qu’on croyait : ils ont constaté qu’un bébé de deux à quatre jours cesse de bouger et
se montre attentif quand on lui fait écouter le générique de l’émission préférée de sa mère, ce qui n’est pas le cas des enfants dont la mère n’a pas regardé cette émission.
Cette réaction d’orientation, qui montre l’intérêt d’un nourrisson pour une situation connue, est mesurée grâce à une tétine munie d’un capteur de pression relié à un magnétophone. Grâce à ce système, d’autres études ont montré la capacité du fœtus à retenir des sons familiers qu’il reconnaîtra plus tard.
C’est ainsi qu’après avoir demandé à des femmes enceintes de lire une histoire à voix haute, le psychologue Anthony De Casper a utilisé ce dispositif qui permet également au bébé, par une simple succion, de choisir et d’écouter une histoire : il a pu constater que les nourrissons choisissaient presque tous l’histoire
racontée par leur maman.
Une autre observation met en évidence cet apprentissage in utero ; dès la naissance les bébés
ne pleurent pas de la même façon selon que leur langue maternelle est le français ou l’allemand ! Les bébés français pleurent selon une mélodie ascendante, c’est-à-dire de plus en plus aiguë, correspondant aux intonations de la langue française, tandis que les bébés allemands pleurent plutôt selon une mélodie descendante, comme dans leur langue maternelle.
b – Du potentiel inné à la spécialisation :
Le petit humain naît avec la possibilité de développer
n’importe quelle capacité. Il peut apprendre n’importe quelle langue, s’adapter à n’importe quelle nourriture, reconnaître n’importe quel visage. Pourtant, entre six et neuf mois, ces capacités s’émoussent. Loin d’être une régression, ce phénomène marque au contraire l’orientation des compétences du bébé pour s’adapter à son environnement. Néanmoins, cette spécialisation présente des inconvénients : plus tard, il lui sera plus difficile d’apprendre une nouvelle langue, de manger des aliments « exotiques », ou d’accepter la présence d’étrangers dans ce qui va devenir son « territoire ».
Comment l’orientation de ses compétences s’accomplit-elle ?
Nous savons maintenant, qu’à la naissance, son cerveau n’est pas une terre vierge, il regorge de possibilités. Tandis que des visages se penchent sur lui, que des voix et des odeurs lui parviennent,
il aiguise ses sens et mémorise quantité d’informations. Ce faisant, son système cognitif, orienté sur le type de visage qu’il rencontre tous les jours, va progressivement perdre sa capacité à reconnaître les visages, sons et senteurs d’autres cultures ou même d’autres espèces.
Il ne s’agit pas vraiment d’une perte mais plutôt d’une
réorientation des possibilités pour développer une capacité plus utile.
Ainsi, à six mois, les bébés établissent la différence entre les visages de leur propre groupe (visages occidentaux pour un enfant occidental) et ceux d’un autre groupe (visages asiatiques ou africains par exemple). De même, ils distinguent aussi facilement les visages de singes que les visages humains.
Distinction facile.
En revanche, à l’âge de neuf mois, tout comme les adultes, les enfants distinguent plus facilement deux visages de leur groupe que deux visages d’un autre groupe, et plus facilement deux visages humains que deux visages de singe.
Distinction facile.
Distinction difficile.
D’autres études montrent qu’il en va de même pour les sons : à six mois, les bébés différencient avec facilité les sons de toutes les langues, tandis que vers neuf mois, ils se spécialisent dans
la seule reconnaissance des sons de leur langue maternelle.
Les sons émis par les singes sont eux-aussi accessibles au nourrisson : entre 4 et 6 mois, il se montre capable de faire correspondre deux sons émis par des singes, avec les mimiques qui correspondent à chacun de ces sons. Cette faculté va disparaître dans les mois qui suivent.
Cette évolution
n’est pas inévitable. Une autre expérience réalisée par Olivier Pascalis (CNRS) et des chercheurs américains a en effet montré qu’entre 6 et 9 mois, si les bébés voient régulièrement des visages de singes ou entendent toujours une langue étrangère, leur capacité à distinguer les visages et les sons ne décline pas.
Distinction facile.
Ainsi, dès la naissance, ce n’est donc pas la capacité à reconnaître certains visages plus que d’autres que possède le bébé, mais
le potentiel pour apprendre à le faire, grâce à la plasticité cérébrale.
Ultérieurement, c’est tout naturellement que l’enfant va passer d’un esprit
ouvert sur tout à un esprit ouvert
avant tout sur les enseignements de son groupe social.
Grandir, c’est donc se fermer des portes pour en ouvrir ou en agrandir d’autres, celle les mieux adaptés au cadre et aux nécessités de sa vie.
« Grandir, c’est être à même de spécialiser ses compétences
en sachant les adapter à son environnement et à ses besoins. »
c – La découverte du monde : le déplacement à quatre pattes :
Toutes les découvertes de l’enfant peuvent donc se faire
par la seule observation. Mais une autre étape va favoriser sa connaissance du monde, une étape essentielle car elle va l’affranchir de l’influence de son entourage : c’est ce que l’on appelle le déplacement à « quatre pattes ».
En effet, entre 5 et 10 mois, les enfants se déplacent à quatre pattes. Grâce à ce nouveau mode d’exploration, ils vont découvrir
par eux-mêmes, ce qui va favoriser leur évolution cognitive.
Tous les bébés n’adoptent pas ce mode de déplacement : certains préféreront se déplacer sur les fesses ou sur le ventre, voire se tenir à des supports et marcher. Peu importe la manière, l’important est d’être mobile.
C’est ce que montre l’étude de Gavin Bremner réalisée en 1978 : en se déplaçant, le bébé développe un
point de vue moins centré sur lui-même. D’autres études ont ultérieurement montré l’impact positif de ce mode d’exploration sur la
mémoire des actions et les
développements sensoriels et émotionnels.
Ce n’est donc pas seulement grâce à ses extraordinaires capacités cérébrales, mais également grâce à l’acquisition de nouvelles capacités physiques que le bébé va découvrir le monde qui l’entoure et en reconnaître chaque élément.
Par sa nouvelle aptitude à se déplacer, l’enfant démontre le
caractère inné de son autonomie.
Ainsi, il n’a nul besoin des parents pour partir à la découverte du monde. Il le fait de lui-même dès que ses capacités physiques le lui permettent.
Seule l’inquiétude parentale peut freiner cette découverte en lui faisant craindre un environnement qui pourrait être dangereux. (Nous savons –
cf : la pensée – que l’enfant se fie aux avis de son entourage).
Il attend qu’on lui apporte la connaissance,
connaissance choisie par ses proches. |
Il découvre par lui-même
et se forge ses propres impressions. |
Il voit les objets et les êtres
d’un seul point de vue. |
Il peut les aborder, les toucher,
les sentir à sa guise. |
30 ans après les découvertes de Gavin Bremner, les études ont confirmé la relation entre le début de la motricité et le développement de la mémoire et des capacités cognitives de l’enfant.
C’est donc
en se déplaçant seul vers les objets qui l’entourent que le jeune explorateur va découvrir le monde dans lequel il vit, de manière
bien plus enrichissante qu’en le regardant du haut de sa chaise haute ou dans les bras de ses parents.
Personnalité induite... |
ou librement élaborée. |
Il va s’éveiller à tout ce qu’il voit, entend, touche. Il va développer ses propres sentiments, méfiance, confiance, en dehors de toute influence extérieure. Il va ainsi forger
sa propre personnalité.
En dehors de la simple découverte, ce mode d’exploration change aussi la façon dont le bébé interagit avec le monde. De toutes ces expériences nouvelles, il extrait les éléments importants : par exemple le fonctionnement ou la solidité du jouet qui l’a attiré. Il peut aussi
adapter une connaissance précédemment acquise à ce nouveau contexte.
Le déplacement à « quatre pattes », tout en développant ses capacités physiques, est donc avant tout une
étape intellectuelle.
Sa mémoire acquiert ainsi une grande flexibilité, ce qui n’est pas le cas des enfants qui n’ont pu explorer librement leur environnement.
Ces constatations permettent de mieux comprendre l’amnésie du premier âge
[cf : la mémoire], car la mémoire n’est pas encore structurée.
Une autre hypothèse est proposée par Jacques Vauclair, professeur à l’université d’Aix-Marseille. Pour lui, l’amnésie infantile est liée à la manière dont l’enfant a vécu les événements. En effet, lorsqu’on le replace dans un environnement qui reproduit les conditions initiales, l’enfant arrive très bien à se souvenir.
Il possède en effet une
mémoire corporelle et émotionnelle qui n’a pas encore été remplacée par
les souvenirs des événements, souvenirs dissociés de leur vécu
[cf : Le traitement cathartique].
Dans une expérience réalisée par Gavin Bremner en 1978, l’enfant doit retrouver un objet caché. Il y parvient vers 8-9 mois, à condition de pouvoir se déplacer et modifier ainsi son point de vue.
Les singes réussissent ce test de «
la permanence de l’objet » beaucoup plus précocement que les bébés, car ils acquièrent une
locomotion autonome bien plus tôt que l’enfant humain. Le déplacement autonome développe tout un ensemble de capacités cognitives : reconnaissance de l’objet, repérage dans l’espace, mémoire des actions, développement des sens, des émotions.
Dans le même temps, la préhension aussi se met en place :
l’appropriation des objets devient possible.
La durée du « quatre pattes » est généralement courte, le temps que les jambes puissent porter et permettre la marche.
L’enfant passe naturellement du déplacement à quatre pattes au redressement car, tout en évoluant dans l’espace, il améliore sa force et développe ses sens. En tentant de voir les choses de plus haut, il élargit non seulement son espace de vision, mais il améliore de plus
son équilibre. En explorant son environnement, il découvre par lui-même les objets
qui peuvent l’aider à se redresser, et découvrir ceux
qui étaient cachés. C’est donc par lui-même, et sans assistance, qu’un jour il va se mettre debout.
L’autonomisation du bébé par le déplacement à quatre pattes est une étape indispensable à son développement. C’est à ce moment là qu’il peut apprendre par lui-même, grâce à toutes les capacités léguées par l’évolution.
C’est pour lui le premier moyen de
s’affranchir de l’influence de son entourage qui lui présente le monde
tel qu’il devrait le connaître.
En effet, selon le mode de vie de cet entourage, il pourra acquérir
le respect de toute chose ou, au contraire,
l’attrait de l’argent et même celui des armes.
« Changer de point de vue est essentiel
pour le développement des capacités cognitives. »
d – L’intégration du bébé dans un environnement dangereux :
L’imitation est une capacité innée, indispensable au développement du nourrisson, car elle lui permet de faire son propre apprentissage.
Pour imiter, les
neurones miroirs sont
indispensables [cf : L'utilisation des analogies]. Depuis leur découverte en 1990 et leur rôle dans l’imitation, d’autres études ont confirmé leur importance dans une autre aptitude : l’empathie.
Mais les nourrissons ne sont
pas prêts à imiter quelqu’un en qui ils n’ont pas confiance.
1 - L’apprentissage grâce à la confiance :
Bien que l’on sache depuis longtemps que les nouveau-nés ont des compétences très précoces, on les comparait plutôt à des éponges absorbant tout ce qu’elles perçoivent.
Trois chercheuses de l’université Concordia au Québec (Rachel Baker,Tamara Pettigrew et Poulin-Dubois) ont découvert que le nouveau-né se montre très sélectif quant au modèle dont il va s’inspirer pour apprendre : il repère rapidement les modèles crédibles et n’imite qu’une
personne honnête et fiable.
Pour réaliser cette étude, les trois chercheuses ont réuni 60 nourrissons, âgés de 13 à 16 mois, observant des adultes. Dans la première partie de l’expérience, ces adultes regardent dans une boîte et manifestent un grand plaisir. Puis les enfants
peuvent vérifier le contenu de cette boite et voir si elle renferme réellement une telle source de joie (en l’occurrence, un jouet), ou si elle est vide.
Grâce au
sentiment qu’ils vont éprouver (déception ou plaisir de la découverte), les bébés vont pouvoir
évaluer la crédibilité de l’adulte.
Puis, l’adulte actionne un interrupteur avec son front pour allumer une lumière. Ce comportement va-t-il être imité ?
61 % des enfants confrontés à un
adulte fiable l’ont imité, contre seulement 34 % pour ceux qui avaient été trompés.
Tout comme les jeunes enfants, les bébés savent faire la différence entre le vrai et le faux, et ils utilisent les connaissances nouvellement acquises dans les comportements ultérieurs. S’ils perçoivent qu’une personne est peu fiable, ils choisissent délibérément de
ne pas apprendre d’elle.
Ces compétences, sélectionnées par l’évolution, s’expliquent aisément car, pour survivre dans un environnement souvent dangereux, mieux vaut avoir confiance dans les modèles qu’on est prêt à imiter.
2 - L’apprentissage par les émotions :
- L’attention portée aux visages exprimant la peur :
Nous savons que, dès trois mois, le bébé
sait utiliser le regard que portent les adultes vers certains objets pour accorder sa confiance à ces objets.
Cependant, jusqu’à cinq mois, malgré son intérêt pour les visages, le bébé regarde encore
indifféremment les expressions de joie et de peur : il n’y décèle pas encore les signes de frayeur.
En revanche, vers sept mois, il observe avec
plus d’attention un visage exprimant la peur.
Mikko Peltola, de l’université de Tampere en Finlande, a pu montrer qu’à partir de cet âge, le bébé s’attarde plus longtemps sur un visage exprimant la peur que sur un visage neutre ou joyeux. Ses yeux restent rivés sur le visage, quels que soient les objets qu’on lui présente pour le distraire. Il est en train de découvrir l’existence du danger, et les moyens susceptibles de le prévenir.
Détecter la joie, la peur, ou la colère dans l’attitude d’autrui lui permet ainsi de
répondre de manière adaptée à la situation, pour mieux échapper au danger. Cette capacité est d’une importance capitale pour bébé qui ne connaît pas encore tous les dangers qui l’attendent.
Le chercheur a également mesuré l’activité électrique des zones cérébrales dédiées à l’attention pendant que les bébés regardent des visages de peur et de joie.
Si, à cinq mois, aucune différence d’activité pour les deux expressions ne transparaît, à sept mois, au contraire, ces zones sont beaucoup plus sollicitées alors qu’il regarde un visage marqué par la peur.
- L’intérêt des alliances pour échapper à la peur :
Comment expliquer cette réaction tardive ? Elle semble pourtant être indispensable à la survie.
La chronologie, inscrite dans l’évolution, est, là encore, cohérente : connaître le danger est inutile lorsqu’on ne peut ni fuir ni se défendre. Avant de chercher à réagir, il est nécessaire de savoir
en qui l’on peut avoir
confiance, et qui peut nous aider. D’autre part, ce sont des sourires qui accueillent le bébé dès sa naissance plus que des expressions de rejet.
Puis, cette relation de confiance se complète par l’
attachement porté à la personne. Il peut alors explorer son environnement et faire le lien entre les objets qui l’entourent et l’expression du visage de la personne protectrice.
- L’attention portée sur les objets qui font peur :
D’autres chercheurs (Tricia Striano, de l’université de New York) ont montré que l’attention des bébés est d’autant plus
attirée par un objet, qu’ils ont lu la peur dans le regard de l’adulte.
Ce mécanisme apparaît dès l’âge de trois mois, bien avant qu’ils ne soient en mesure de réagir par lui-même à une quelconque menace.
Les adultes ont donc un rôle essentiel dans l’apprentissage de leur enfant, et c’est bien souvent
sans en avoir conscience qu’ils l’influencent en lui communiquant parfois leurs propres peurs.
En effet,
par leurs seuls regards, ils confèrent une touche émotionnelle à tous les objets qui les entourent.
Ainsi, le bébé peut se laisser tromper par les réactions des adultes et intégrer de
fausses informations concernant un danger minime amplifié par la peur irraisonnée de l’adulte.
Toutefois, un exemple fait exception : on a constaté que les bébés, instinctivement et sans l'aide des adultes, on peur des araignées.
- L’attention portée à la colère :
Au cours d’une autre recherche, Tricia Striano a comparé les réponses cérébrales de bébés de sept mois selon qu’ils se trouvent confrontés à la peur ou à la colère : ils sont
plus attentifs à l’expression de la colère, comme si elle leur faisait parvenir un signal plus fort d’insécurité. Est-ce parce qu’elle est ressentie comme une menace directe à laquelle les bébés ne peuvent se soustraire ?
« Tel bébé, tel adulte. »
C – L’intégration du bébé dans le monde social :
a - La théorie de l’esprit :
Il y a peu, les spécialistes de l’enfance pensaient que les nourrissons, avant quatre ans, n’avaient pas la capacité de saisir que
les pensées des autres pouvaient être différentes des leurs.
Pour étudier cette capacité, les chercheurs ont montré à des bébés des vidéos où un ballon roule derrière un écran, puis disparaît du champ de vision avant de réapparaître. Un personnage expressif observe ce mouvement. Les chercheurs ont pu constater que les bébés observent plus longuement les scènes où le dénouement ne correspond pas aux attentes de ce personnage.
On considère aujourd’hui que les nourrissons, dès sept mois. possèdent cette capacité dite «
théorie de l’esprit ».
Une autre expérience a été menée par des chercheurs britanniques avec des bébés de 18 mois auxquels ils ont tout d’abord fait porter des bandeaux opaques ou transparents sur les yeux alors qu’une marionnette déplaçait un objet. Puis tous les enfants (bandeau enlevé) ont observé un acteur portant les mêmes bandeaux, tandis que l’expérience était reproduite.
Les enfants qui avaient fait l’expérience du bandeau opaque se sont attendus à ce que l’acteur, qui ne pouvait voir, se trompe sur l’emplacement de l’objet, ce qui n’a pas été le cas des autres bébés. Ils ont ainsi montré que les bébés
utilisaient leur propre expérience visuelle
pour attribuer un savoir à l’acteur.
b – Les compétences morales et le sens de l’équité :
Que le bébé soit concerné ou non par une scène qui se déroule sous ses yeux, qu’il en connaisse ou non les acteurs ou leurs motivations,
il est capable de juger un comportement.
C’est ce qui ressort d’une expérience menée par Karen Wynn et ses collègues, chercheurs de l’université Yale (Etats-Unis). Ils ont présenté à des bébés âgés de 6 et 10 mois des jouets en bois représentant de petits personnages.
Dans un premier temps, assis sur les genoux de leurs parents, les bébés regardent des vidéos dans lesquelles ces personnages en bois sont mis en jeu.
Deux vidéos montrent l’un d’eux qui essaie tant bien que mal de gravir une colline. Dans la première vidéo, un deuxième personnage, qui joue le rôle du méchant, le repousse, de sorte qu’il retombe en bas de la colline. Dans la deuxième vidéo, il est au contraire aidé et poussé par un personnage qui l’aide à monter jusqu’au sommet de la colline.
Lorsqu’il est proposé aux enfants de choisir entre le gentil et le méchant, presque tous
choisissent le gentil !
Dans un deuxième temps, les chercheurs introduisent un
personnage neutre, que les bébés n’ont pas encore rencontré.
Quand ils ont le choix entre le personnage gentil et le neutre, les bébés préfèrent le
gentil. Par contre, lorsqu’ils doivent choisir entre le personnage neutre et le méchant, c’est le
neutre qui a leurs faveurs !
Ainsi, dès l’âge de six mois, il apparaît que les bébés
savent évaluer un comportement.
Enfin, dans un troisième temps, les trois petits personnages sont tous mis en présence. C’est alors que celui qui essayait de gravir la montagne s’approche du méchant, délaissant le gentil. Alors que les bébés de 10 mois
expriment de la surprise, comme si ce choix les étonnait, ceux de six mois
ne réagissent pas : il semble qu’ils ne soient pas encore capables de projeter leurs propres intentions sur les comportements et attitudes des autres.
Cette capacité à évaluer les individus sur la base de leurs interactions sociales
n’est pas innée. Indispensable à l’adaptation en collectivité, il semble qu’elle dépende d’un
apprentissage personnel, avant que l’
apparition du langage n’apporte les connaissances de l’entourage
[cf : L’organisation du langage]. C’est d’ailleurs au même moment que semblent se développer les différentes interrelations sociales comme aider, consoler, ou au contraire repousser ou fuir.
La préférence marquée par le bébé pour les gentils semble être à la base de son
développement moral ultérieur.
N’étant pas lui-même impliqué dans l’interaction entre les personnages, il agit en tant que témoin impartial.
Son « sens moral » et les choix qui en découlent sont avant tout déterminés par ce qui l’affecte personnellement.
Ces choix, s’ils pouvaient être conservés au cours de sa vie, pourraient être un
facteur de transformation de la société puisqu’ils mettraient naturellement les « méchants » à l’écart.
C’est cette capacité à définir les personnes à partir de leurs actes qui permettrait la construction de la morale et l’éthique.
Toutefois, on ne peut affirmer que les bébés soient
déjà capables de distinguer ce qui est bien pour eux et ce qui est bien en général.
Le jugement du bébé concerne-t-il seulement des personnes réelles, des objets représentant des personnages ou seulement leurs actes ?
Les chercheurs sont allés plus loin dans leur démarche : les bébés prêtent-ils des intentions aux personnes grâce aux expressions émotionnelles ou l’acte seul détermine-t-il leur choix ? Pour obtenir une réponse, une équipe japonaise a présenté, à des bébés âgés de 10 mois, des vidéos montrant des formes géométriques dans différentes situations.
C’est ainsi qu’après avoir vu un rond bleu se précipiter sur un carré jaune et le percuter violemment, les bébés ont, dans 75 % des cas, préféré la « victime », en l’occurrence le carré jaune. Dans le cas où il n’y a aucune interaction entre les figures géométriques, leur choix se porte indifféremment vers une forme ou l’autre.
Dans les expériences précédentes, les bébés éprouvaient-ils alors de la compassion? Dans les vidéos mettant en jeu des formes géométriques, aucune souffrance n’est exprimée, aucun son traduisant la douleur ou la peur
n’oriente la réponse de bébé.
Il s’agit plutôt de la perception d’un danger qui pourra déterminer plus tard un comportement de survie : par exemple, si un rocher en déséquilibre chute sur un congénère, il sera bon d’éviter les rochers en déséquilibre. Les bébés se contentent, dans ce domaine, de profiter des avantages inscrits par l’évolution en tout être vivant.
Si les mécanismes de l’empathie se mettent déjà en place et lui permettent de choisir ce qu’il perçoit comme agréable pour lui, il lui faudra attendre ses 18 mois pour se comporter comme un
être social capable d’évaluer les sentiments des autres et de coopérer avec eux.
De même, il a été montré que la sensibilité aux
normes morales est précoce. Ainsi, Stéphanie Sloane, chercheuse en psychologie à l’université de l’Illinois, a montré en 2012 que des bébés de 19 à 21 mois réagissent davantage lorsqu’une simple marionnette reçoit
deux jouets, tandis que l’autre n’en a
aucun.
La chercheuse a également démontré que le sens de l’équité se manifestait encore plus tôt, dès l’âge de neuf mois. Pour cela, elle s’est intéressée à leurs réactions lorsque certains membres de leur groupe sont favorisés, par exemple lorsqu’une récompense est donnée à deux personnes alors qu’une seule l’a méritée. Elle a pu constater que les bébés attendent des individus
un soutien mutuel.
Cette analyse concorde avec un nombre croissant d’études indiquant que les bébés
possèdent déjà un ensemble de représentations mentales sur ce que doivent être les
relations constructives entre membres d’une même collectivité. Cela va les aider à trouver le comportement favorable à l’intégration dans une communauté quelle qu’elle soit.
c - Les compétences émotionnelles – l’empathie :
Une autre étude, publiée en 2011, a montré que, dès les premiers mois, les bébés détectent les
résonnances émotionnelles dans les sons humains.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont mesuré par IRM l’activité cérébrale de nourrissons de trois à sept mois qui dormaient, tandis qu’étaient diffusés des bruits à tonalité, joyeuse, triste ou neutre ou encore des sons d’origine humaine.
Les chercheurs ont alors constaté qu’une zone du cortex temporal qui traite les vocalisations humaines chez l’adulte s’activait lorsque des sons humains neutres étaient perçus. De même, des aires cérébrales impliquées dans le traitement émotionnel réagissaient lors de la diffusion de rires et de pleurs.
Dans ces découvertes, les chercheurs voient
les premières ébauches de l’empathie. Cependant, si la compréhension de l’état affectif d’autrui semble se mettre en place à l’âge de neuf mois, elle ne sera complètement affirmée qu’à partir de 14-18 mois
[cf : L'empathie].
d – L’anticipation :
1 – L’anticipation du geste :
Lorsqu’il s’agit seulement d’observer le comportement de nos semblables, tout paraît facile mais tout devient plus complexe dès qu’il s’agit d’
anticiper leurs actes. C’est pourtant le défi que doit relever tout bébé qui vient de naître.
Une fois son cerveau devenu suffisamment mature, il va pouvoir
prédire les actions de son entourage, et en déterminer les intentions. Il commence à acquérir cette capacité dès l’âge de six mois. Cette découverte est le fruit d’une étude menée par Terje Falck-Ytter chercheur à l’institut Karolinska. Il a proposé à des bébés de six mois à un an de regarder des vidéos dans lesquelles un acteur saisit des jouets pour les mettre dans une boite.
L’expérience a consisté à suivre le regard des enfants : les enfants âgés d’un an ont porté leur regard
vers la fin de l’action, anticipant ainsi comme le font les adultes, ce qui n’a pas été le cas des plus jeunes.
Comment évolue cette capacité nouvelle ? Les neurones miroirs y jouent un rôle prépondérant.
À l’âge de quatre mois, on peut considérer que le bébé est capable de saisir un objet à pleine main. En observant sa mère, il apprend rapidement à faire comme elle.
Les neurones miroirs, après avoir mémorisé le geste,
permettent de le transposer dans le propre système musculaire du bébé.
Mais, pour prédire les actions des autres,
il faut d’abord être capable de les réaliser soi-même. C’est alors que l’enfant peut prévoir la finalité d’une action réalisée par d’autres. L’expérience se révèle indispensable.
C’est pour cela qu’à un an, l’expérience accumulée depuis sa naissance lui permet de porter son regard dans la bonne direction, et suivre toutes les circonstances d’un événement,
puisqu’il connaît déjà l’aboutissement de la scène à laquelle il assiste.
De plus, grâce aux neurones miroirs, il perçoit le sens des gestes
avant même de communiquer par la parole. Le lien social se met en place.
Nous avons déjà fait la connaissance de ce processus dans lequel réaliser une action ou l’imaginer active les mêmes aires motrices au niveau du cerveau.
Action exécutée. |
Action mimée. |
Grâce à l’observation, l’apprentissage va profiter de cette capacité qui permet de constater
quelles actions sont profitables ou nuisibles, avant de les imiter. Les parents auront alors un rôle majeur dans le devenir de leur enfant
selon l’exemple qu’ils fourniront.
Observation et visualisation.
Plus tard, les neurones du langage réaliseront un
processus identique : en entendant la description d’une scène, les neurones miroirs vont convertir
la phrase en représentation motrice de la scène.
Observation et écoute.
2 – L’anticipation des émotions :
Nous savons que
l’adulte utilise son expérience pour parvenir à analyser une situation, en comprendre les avantages ou y percevoir un danger. Il en va
de même pour le bébé : voir un geste et pouvoir l’imiter lui permet d’en saisir le sens.
De même,
être capable de ressentir ce qu’est une émotion – plaisir ou dégoût –aide à identifier et comprendre la personne qui l’exprime. Ainsi, un bébé va pouvoir émettre des hypothèses sur la fin d’un dessin animé
s’il a déjà éprouvé les émotions des personnages.
C’est pour cela que le bébé, vers un an, peut anticiper les actions les plus simples, parce qu’il les a lui-même acquises et maîtrisées.
Pourquoi si tard alors qu’on sait que dès trois mois, il est capable d’anticiper le mouvement d’un objet, par exemple un ballon ? Parce qu’il existe, au niveau du cerveau, une
différence fonctionnelle entre l’anticipation du mouvement d’un objet et celle d’une action humaine. Le mouvement d’un objet dépend d’un système basé sur des
propriétés physiques du monde
[cf : une intuition des lois physiques], non sur des propriétés sociales.
Mouvement d’un ballon. |
Geste d’un humain. |
Dans notre espèce, le développement sensoriel et le développement moteur sont décalés. Contrairement à la plupart des animaux, le bébé ne marche pas dès sa sortie du sein maternel, car son action motrice est plus tardive : elle ne s’exerce que vers cinq ou six mois.
Malgré cela, dès deux mois, le bébé
parvient à modifier son environnement
parce qu’il influence le comportement de son entourage. Pour cela, il exploite ses capacités d’imitation qui éveillent chez son vis-à-vis des réactions émotionnelles.
Ainsi, à deux mois il établit le dialogue avec sa mère, car il sait voir chez elle
les résultats de ses propres gestes et mimiques : il montre déjà un certain niveau de prévision. Lorsque tous deux se trouvent dans des pièces différentes, réunis seulement par l’intermédiaire d’un écran de télévision, le bébé est heureux s’il peut continuer à communiquer avec sa mère. Mais si l’écran diffuse un enregistrement différé qui décale le dialogue émotionnel, il sourit moins puis
se désintéresse peu à peu de l’écran.
Pourtant, au même âge, il ne perçoit pas la différence entre le direct et l’enregistré quant son interlocuteur est inconnu. En effet, il ne peut généraliser ce système d’échange émotionnel lorsqu’il n’a pas encore repéré les signes de la communication chez son vis-à-vis. Dans ce cas il n’en sera capable qu’à six mois.
Pour les mêmes raisons, les bébés ne font pas la différence entre une communication directe et un film enregistré en différé lorsque
leur mère est déprimée car la difficulté à attirer son attention ne leur a pas encore permis d’apprendre à l’influencer et à communiquer.
Quand le bébé passe-t-il de la prédiction d’une action à celle d’une émotion ?
On considère actuellement que cette capacité à attribuer des états mentaux aux autres (désirs, intentions…) pourrait apparaître vers 15 – 18 mois.
Plus tard, l’expression des émotions sera complétée par un échange verbal. C’est alors que la spontanéité commencera à être
contrôlée et
remplacée par les règles de conduite.
L’émotion s’exprime par l’expression corporelle. |
Le langage complète ou remplace l’expression de l’’émotion. |
« Percevoir, c’est déjà agir. »
e – Rôle de l’éducation :
Quel rôle joue donc la société dans le processus d’autonomisation de l’enfant ?
Nous avons vu que l’évolution lui a déjà permis d’établir un
classement de base : personnages gentils et méchants, dignes ou non de confiance, rapports agréables ou pénibles.
De même, en grandissant, il a
besoin de classer les objets de son environnement selon des catégories qui lui permettent de construire un monde structuré, s’adapter aux différentes situations et les comprendre: grand – petit, fille – garçon, comportement maternel – comportement paternel – comportement social, etc.
C’est pourquoi, même si, dans certaines sociétés, les adultes sont tentés de refuser les genres par souci d’égalité, c’est justement parce qu’ils ont appris à
reconnaître les différences entre hommes et femmes, deux sexes dont la complémentarité ne saurait être assimilée à une inégalité. L’enfant a besoin d’apprendre les catégories, sinon il va tomber dans le schéma que nous avons déjà abordé en ce qui concerne
la mémoire : c’est en effet
en classant ses souvenirs qu’il peut les retrouver. Ne pas parvenir à effectuer un classement est expérimenté chaque jour par les sujets qui ont de la difficulté à distinguer la droite de la gauche… un temps de réflexion est nécessaire, et il n’est pas certain que la réponse soit au bout de cette réflexion.
L’interdit est lui aussi une structure dont l’enfant a besoin pour accéder à l’autonomie en collectivité. Pourtant, aujourd’hui, certaines sociétés n’affirment plus l’autorité, que ce soit celle des parents ou des professeurs : cela va empêcher l’enfant de comprendre l’importance de la hiérarchie. Trouvera-t-il sa place dans la société ?
Quand l’enfant manque d’autorité pré verbale (par les expressions du visage), puis verbale (lorsqu’il entend qu’il ne peut pas tout se permettre), il finit par oublier que ses désirs
ne sont pas toujours ceux de l’autre, et il n’apprend pas à renoncer aux siens pour s’ouvrir à ceux de l’autre. Il risque alors de se comporter en dictateur.
Alors qu’il apprend aussi à ne pas mordre ou frapper comme il le ferait spontanément, testant ainsi les réactions de son « adversaire » lors de ses jeux, comment sa capacité à
éprouver ce qu’il fait ressentir à l’autre pourrait-elle se développer ? Si son apprentissage spontané à la vie ne lui permet pas totalement de se décentrer de lui-même et de se mettre à la place de l’autre, comment va-t-il développer sa capacité d’empathie et
parvenir à s’intégrer dans un groupe ?
Une violence plus insidieuse peut également toucher les enfants : la
négligence affective. Certains parents font tout ce qu’ils peuvent pour satisfaire les besoins matériels de leurs enfants, oubliant de remplir leur vie affective. La souffrance occasionnée par la
solitude émotionnelle, dans un environnement qui assouvit tous les besoins, et parfois plus que nécessaire, est celle qui entraîne le plus de troubles neurobiologiques, psychologiques et comportementaux.
« Tel adulte, tel bébé ! »
Enfin, les progrès de la science pourraient bien nous procurer aujourd’hui le bébé « zéro défaut ». Ces enfants sont conçus pour rassurer des parents mentalement fragiles. C’est pourtant
le seul hasard qui permet l’autonomisation psychologique et la reconnaissance de l’altérité.
Il est en effet bien plus facile de s’accepter imparfait, et d’aimer des enfants imparfaits, que de rêver à l’enfant parfait qui va forcément décevoir.
« La perfection n’existe pas,
mais tout peut être amélioré. »
D - Les étapes clés vers l'autonomie :
Quelles sont alors les compétences du bébé, avant qu’il ne soit soumis à l’influence adulte et s’intègre dans le monde social ?
– Les sens et les actions motrices : (naissance à deux ans)
Les études menées par Jean Piaget, sur la permanence de l’objet, lui ont permis de définir un premier stade dans la construction de l’intelligence : le
stade sensorimoteur, qui se développe de la naissance à l’âge de deux ans.
Durant cette période, le bébé interprète le monde
grâce à ses cinq sens et il progresse grâce à l’évolution de sa
motricité. Il y découvre les règles physiques qui le régissent et ses possibilités d’action.
– L’imitation : (deux jours)
Dans le domaine de la perception des émotions, c’est en 1977 qu’Andrew Meltzoff et Keith Moore ont eu l’idée de montrer, à des nouveau-nés de moins de deux jours, différentes émotions. Ils ont alors constaté que ces nouveau-nés étaient capables de les
imiter. C’est seulement 20 ans plus tard que l’on découvrira l’existence des « neurones miroirs ».
– L’Adaptation à l’environnement : (trois jours)
En utilisant un tapis roulant virtuel, des chercheurs français ont réussi à provoquer la marche chez des bébés de trois jours maintenus en l’air. Cette découverte montre que, dès sa naissance, le bébé possède la
capacité d’ajuster son activité corporelle à ce qu’il observe.
– L’adaptation sociale : (premiers jours)
Ses
compétences sociales ont également été mises en évidence dès les premiers jours.
C’est ainsi qu’une étude a mis en scène un bébé interagissant avec sa mère par l’intermédiaire d’un écran. Lorsque l’image en direct est remplacé par un enregistrement passé en différé, il se montre perturbé par
le décalage qui existe entre ses mimiques et les réactions de sa maman.
– La communication : (deux à trois mois)
A deux mois les bébés activent la
même région du cerveau que les adultes pour la perception des visages.
Un autre circuit neuronal dont l’organisation est similaire à celle de l’adulte a été mis en évidence par Ghislaine Dehaene : il permet, dès l’âge de trois mois, de repérer les éléments répétés d’une phrase.
– La permanence de l’objet : (trois à cinq mois)
Pour Piaget, bébé devait se déplacer pour découvrir qu’un objet
continue d’exister même s’il ne voit pas. Cela ne pouvait se produire que vers 18 mois.
En 1985, la psychologue américaine Renée Baillargeon, en observant le temps d’attention que porte le bébé sur une situation, a découvert qu’il acquiert cette capacité dès trois à cinq mois.
– Le calcul : (quatre mois)
Dès l’âge de quatre mois, les bébés résolvent, comme les grands singes, des additions simples, comme 1 + 1 égale 2 ou la soustraction 2 - 1 égale 1.
Cette
capacité numérique a été mise en évidence par la mesure du temps de fixation visuelle. Par exemple, l’expérimentateur met deux balles dans une boite vide et en sort trois. Les bébés regardent plus longuement lorsqu’il y a des différences inexplicables dans le nombre d’objets.
Bien évidemment, à cet âge, le bébé ne sait pas manier les abstractions que constituent les chiffres, mais il sait manier les situations où se trouvent des objets ou des êtres vivants. S’il n’est pas autonome dès la naissance, comme beaucoup d’animaux, il possède leur capacité à reconnaître l’environnement et faire la différence entre « 1 » et « beaucoup plus ».
- La reconnaissance de la langue maternelle : (Quatre à huit mois)
Bien avant de prononcer ses premiers mots, bébé est capable de
distinguer sa langue maternelle des autres langues.
Nous savons que les aires du langage apparaissent dès l’âge de trois mois, mais elles ne sont pas les seules à être en fonction. Ainsi, amenés à regarder un film muet, des enfants de quatre à huit mois réagissent quand l’acteur change de langue : ils s’en rendent compte non par le son mais par le
mouvement des lèvres.
- Le sens moral : (Six mois)
En 2007, une étude menée par Karen Wynn a montré que les bébés sont capables d’évaluer très tôt le
comportement d’autrui. Dans un spectacle de marionnettes où des personnages viennent respectivement aider un troisième personnage ou le faire tomber, les bébés montrent leur préférence pour le personnage qui aide dès l’âge de six mois.
– L’inhibition : (12 mois)
Un bébé est placé devant un nounours et deux coussins, puis on cache le nounours sous le coussin A : à huit mois le bébé le retrouve facilement.
Puis, on le cache sous le coussin B : jusqu’à l’âge de 12 mois, l’enfant continue à le chercher sous le coussin A, montrant son incapacité à inhiber ses anciennes connaissances. Ce n’est qu’à partir de 12 mois qu’il va devenir
capable d’inhiber le comportement connu.
Cette expérience montre que le développement intellectuel impose de parvenir à inhiber des actes moteurs et cognitifs
anciennement acquis pour en réaliser de nouveaux.
– La logique et le discernement : (14 mois)
Une autre étude, publiée en 2002, a montré de quelle manière les bébés raisonnent.
Lorsqu’un adulte leur montre une nouvelle stratégie pour réussir une activité, ceux de 14 mois ne l’utilisent que s’ils la trouvent
plus rationnelle et efficace que celle qu’ils connaissent. Ils ne se contentent donc pas de reproduire mécaniquement ce qu’on leur montre, mais font preuve de
discernement.
– La théorie de l’esprit : (15 mois)
C’est vers 15 mois que les nourrissons découvrent qu’autrui peut avoir des intentions et des connaissances
qui lui sont propres. Une étude menée en 2005 a pu le démontrer grâce a l’observation de bébés regardant un adulte ranger un objet dans différentes boîtes. Si l’adulte cherche l’objet dans la mauvaise boîte, le bébé regarde cette situation imprévue avec plus d’attention.
« Non seulement bébé possède les bases du comportement adulte,
mais, capable de discernement, il peut écarter les comportements désuets. »
06 - La conscience de l'enfant : (suite)