Grece.



3 - Le rêve dans la Grèce antique :

    Dans la Grèce antique la représentation des dieux se stabilise.
Nous passons alors des dieux animaux et instinctifs de l'égypte, au dieux humanisés de la Grèce.
Les égyptiens avaient mis en place cette évolution : déjà, les dieux directeurs (Osiris, Isis) possédaient figure humaine.

Les dieux grecs.
Les dieux grecs.
    Le problème n'est plus aussi fortement celui de l'instinct qui semble définitivement contrôlé.
Ce faisant, puisque la raison contrôle désormais les forces de l'Olympe, c'est l'ensemble des dieux qui deviennent humains. L'homme, puisqu'il est si semblable à ses dieux, peut désormais avoir accès à la divinité (Héraclès devient immortel et est consacré dieu des ephèbes) .

    Une autre évolution intervient : chez les égyptiens, les dieux devaient demeurer sur terre pour protéger les hommes; chez les Grecs ceux-ci élisent domicile dans un monde à part : l'Olympe. La contrepartie est que les hommes peuvent avoir des relations privilégiées avec eux (mariage d'Eros et Psyché).

    En sortant du monde naturel et en commençant à s'installer dans le monde qu'il a créé de toutes pièces, en devenant un être social, l'homme n'a plus été confronté aux sensations générées par la nature seule.
Sa perception du monde s'est modifiée, ainsi que les interprétations qui en découlent.
Les génies de la nature ont ainsi évolué pour devenir des dieux totalement anthropomorphes. Personnification des forces qui gouvernent le monde, ils ont acquis les qualités, mais aussi les défauts des humains.
    Cette transformation montre que la raison humaine continue à investir le monde de l'inconscient, jusqu'à le remplacer...
Comme dans l'Ancien Testament, les anciens mêlent dans la mythologie des légendes et des faits historiques. Les hommes n'hésitent plus à s'identifier à leur dieu, et même à envisager des possibilités d'union... (cf le mythe d'éros et Psyché).

    Mais si les hommes conçoivent que ceux qui souhaitent accéder à la divinité doivent traverser des épreuves et en sortir vainqueurs (cf les travaux d'Hercule), ils s'intéressent surtout à la divination pour apaiser leurs inquiétudes.

Temple de Delphes.
Temple de Delphes.

    L'avenir est alors révélé par les dieux, dans des lieux précis, sur des sujets déterminés et dans le respect des rites. Ces oracles peuvent être transmis aux mortels par les songes, après une nuit passée dans le temple à même le sol, mais ils peuvent aussi s'exprimer par l'intermédiaire de la pythie, prêtresse d'Apollon, chargée de transmettre les oracles du dieu à Delphes.

    Des conditions particulières sont nécessaires pour que la divination puisse avoir lieu :
- le fait que la pythie s'exprimait pendant longtemps en vers pourrait indiquer la prééminence du cerveau droit (cerveau intuitif et poète) pour donner la « révélation »...
- d'autre part il était nécessaire que la pythie apparaisse simple, sans luxe, et qu'elle soit dans l'ignorance de toute chose, ce qui privilégie la spontanéité sur l'apprentissage.

    Un dieu un peu à part est Morphée. Fils d'Hypnos (le sommeil) et de Nyx (la nuit), il est le dieu des rêves. Dieu polymorphe, il prend la forme des différents êtres humains qui apparaissent dans les songes des dormeurs... Il est le dieu capable de révéler aux hommes des secrets (dans la légende d'Alcyoné, il apparaît à celle-ci sous les traits de son époux, et lui révèle qu'il a péri dans un naufrage).
Mais il sera foudroyé par Zeus pour avoir communiqué des secrets aux mortels.

    Ainsi, la partie individuelle, adaptable et transformable, de la psyché peut nous faire connaître des secrets. Elle révèle alors sa fonction intuitive. Toutefois, cette partie n'a pas le droit de s'exprimer totalement, elle ne peut pas révéler tous les secrets...
Plus précisément, elle peut être annihilée par les forces rationnelles qui, après avoir investi l'Olympe, ne laissent pas n'importe qui accéder à la connaissance. En pratique, le rêve peut être oublié si la raison qui reprend ses droits au réveil refuse d'en prendre conscience et, en quelque sorte, oppose son veto.

    En dehors de la croyance, une figure clé de la Grèce antique, Artemidore de Daldis, a condensé dans un ouvrage dont Freud s'est inspiré, "l'Onirocriticon" tout le savoir de l'époque sur la divination par le rêve.
Cet auteur grec distingue diverses catégories de rêves, selon qu'ils sont prémonitoires ou non, que leur réalisation est immédiate ou non, et selon qu'ils impliquent le rêveur ou ses proches, la collectivité ou le cosmos.

    Il établit une classification qui distingue les songes abstraits, les songes concrets, et les songes symboliques.

    Le rêve correspond à la réalité :
    Ce sont les songes significatifs : ainsi "ce navigateur qui a rêvé que son navire sombrait. Se réveillant, il constata que c'était vrai, et il parvint à se sauver avec une partie de son équipage."
Danger perçu.
Le danger perçu inconsciemment, et exprimé par le rêve...

Danger évité.
...peut être évité.

    Le rêve est symbolique :
"par une chose il en signifie une autre, l'âme nous avisant naturellement qu'il y a je ne sais quoi de secret caché dessus ".
    Nous retrouvons avec lui la notion de déplacement, chère à Sigmund Freud : le rêve cache les désirs sous les symboles.
Mais ce sens caché peut être décrypté par une clé des songes, ainsi Artemidore analyse-t-il le rêve : "Avoir des cornes"
de cette manière :
"Songer avoir des cornes de boeuf, ou de telle autre sorte de bête, signifie mort violente et le plus souvent décollation, laquelle aussi advient aux bêtes qui portent cornes".

    Le rêve ne se trompe jamais :
Pour Artemidore, le rêve est, par définition, toujours vrai, mais, du fait de son caractère symbolique, il peut être mal interprété. Pour expliquer cela, il évoque le songe du capitaine de navire qui, égaré à la suite d'une tempête, s'était vu en rêve demander s'il arriverait jamais à Rome. La réponse avait été " ου", qui signifie « Non ». Or, ce capitaine était pourtant bien arrivé à Rome, mais 470 jours plus tard. était-ce une erreur ?
Non, explique Artémidore, car, dans le système de notation mathématique employé en grec, « ου » est constitué de deux lettres, la lettre omicron qui vaut 70 et le upsilon qui vaut 400, le tout faisant bien 470
.
Le rêve ne s'était donc pas trompé.

    Le bon et le mauvais sont toujours présents :
"Songer est un mouvement ou une fixation de l'âme en diverses formes et qui signifie des bonheurs ou des malheurs à venir"
Nous retrouvons par exemple ces composantes dans le rêve suivant :
De Naître.
"Si quelqu'un songe qu'il sort du ventre d'une femme, comme pour naître au monde, il faut juger en telle sorte. Ce songe est bon à celui qui est pauvre, car il aura des moyens ou des amis qui le nourriront; mais s'il est artisan, et d'un métier qui requiert qu'on travaille des mains, le songe lui prédit qu'il sera sans oeuvrer"
Tout comme la réalité du rêveur peut être à l'origine du rêve, le rêve est lié au vécu du rêveur, et ce vécu conditionne son devenir.
Ainsi, dans ce rêve, on pourrait dire que le sujet se voit nouveau-né...
    - tout d'abord un nouveau-né n'a rien, mais il est entouré d'amis...
    - ensuite, il n'a pas encore la force d'agir ! Un homme qui reste enfant verra obligatoirement sa vie professionnelle échouer.
Ainsi, symboliquement, les deux assertions de cette clé des songes s'avèrent justes même si, prises au pied de la lettre, elles peuvent s'avérer complètement fausses.

    Nous constatons ici que le rêve reflète les préoccupations de la vie quotidienne du rêveur, et qu'il ne prend pas en compte l'évolution personnelle!
Dans ce rêve, la clé, si elle est donnée, ne permet pas au rêveur d'en approfondir le sens qui pourrait être par exemple : "grandis un peu et tu seras capable de gérer ton entreprise !"

    Que retenir maintenant ?
    La pensée rationnelle représente désormais les dieux sous une forme humaine! Et force est de constater que, dans le domaine des dieux, les attributions de chacun sont très proches des attributions humaines dans le monde terrestre.

Ce que les dieux ne peuvent exprimer avec les mots,
leur apparence permet de le ressentir.
(Ici, la peur, l'interrogation, la confiance).

    Mais que sont devenus les dieux instinctifs? On les retrouve bien dans les rêves, mais leur interprétation est soumise aux clés définies par la société.
Le rêve peut-être abstrait, symbolique ou au contraire très clair. Et, en ce sens, l'inconscient montre bien sa capacité à générer toutes sortes d'images que notre pensée rationnelle devra interpréter.

    Il peut cacher un secret, et même travestir son sens. A l'inverse, il peut également livrer un secret, une "intuition"... Toutefois, si ce secret fait partie des interdits sociaux, le rêve sera occulté.
Le rêve pourrait ne jamais se tromper, mais notre inconscient apporte des réponses que notre raison ne peut pas toujours interpréter.
Il peut s'exprimer d'une façon poétique (cerveau droit).
Il annonce le bon ou le mauvais.
La spontanéité plus que l'apprentissage peut permettre de comprendre le rêve.
Il permet l'accession à la révélation divine au même titre que les épreuves que doivent affronter les héros.
Et pourtant, les clés de songes ignorent tout processus d'évolution individuelle.

    En ayant créé des dieux à leur image, les Grecs de l'Antiquité semblent les avoir rendus plus accessibles à la compréhension.
D'autre part les dieux primitifs deviennent inaccessibles car occultés.
    Malgré tout, si les instincts semblent complètement effacés du monde visible, leur fonction informative est conservée par le rêve et les devins qui le traduisent.


L'instinct cesse d'être représenté.
L'interprétation des rêves n'est plus le monopole des prêtres.
L'aspect polymorphe du rêve (cf Morphée) révèle des secrets.
La loi et l'autorité représentés par un dieu anthropomorphe (Zeus) peuvent en interdire l'accès.


Le judaïsme et le rêve : (suite)