«L’enfant est sans préjugés, qualité première
d’un grand philosophe.
Il perçoit le monde tel qu’il est, sans idées a priori
qui faussent notre vision d’adulte.»
Jostein Gaarder




La naissance
de l'esprit sain.




6 - La conscience de l'enfant :

A - Cerveau primordial et pensées immatérielles:

    Après 30 semaines de grossesse, un réseau important reliant des structures diverses est à l’œuvre dans le cerveau du fœtus. Quelques semaines plus tard, chez le nouveau-né, ces zones sont presque entièrement formées. Elles correspondent à celles que l'adulte utilise spontanément lorsqu'il laisse son esprit vagabonder. Elles correspondent aussi aux régions du cerveau sollicitées durant l'introspection et le rêve éveillé.

    Ce mode de fonctionnement qui intervient tandis que le cerveau de l’enfant se structure, pourrait permettre de comprendre comment se construit la conscience de l’adulte.
    Nous avons vu les prédispositions du tout petit en physique, biologie, mathématiques. Le développement précoce de ces régions cérébrales qui lui permettront, plus tard, de penser à lui et d’explorer le passé et l’avenir, indique déjà, chez le nouveau-né, la capacité de raisonner en l’absence de tout support matériel.

    D’où lui vient cette capacité ?

    Aujourd’hui, le fossé qui séparait l’homme des grands singes et des autres primates se comble peu à peu.
    La capacité de se reconnaître dans un miroir, considérée comme la marque de la conscience de soi, était jusqu'à présent attribuée à l’être humain, aux grands singes (chimpanzés, orang-outan, bonobos, gorilles), aux éléphants et aux dauphins. Aujourd’hui, on sait que le macaque rhésus possède lui aussi cette capacité, et les chercheurs ne considèrent plus qu’il existe un fossé cognitif entre cette élite et les autres mammifères : ils reconnaissent une transformation continue des fonctions mentales des espèces au cours de l’évolution.

    Ainsi, la conscience de l’enfant apparaît comme le résultat d’une évolution qui semble débuter avec l’apparition du règne animal et qui se retrouve à son stade le plus abouti chez les primates.

Chimpanzé.

    Quel avantage l’activité cérébrale, dont nous avons parlé plus haut, apporte-t-elle à l’enfant dans son accession à la conscience ?

    Difficile à saisir chez l’enfant qui ne parle pas encore, cette capacité peut être mieux comprise chez l’adulte : laisser errer librement sa pensée lui permet en effet d’explorer toutes les notions acquises précédemment.
    La capacité naturelle de raisonnement analogique du cerveau peut alors s’exprimer librement : à défaut de posséder une explication immédiate devant un phénomène incompréhensible, nous pouvons le comparer à un autre phénomène connu. C’est ainsi que l’atome a pu être comparé à une planète entourée de ses satellites ou au système solaire.

Atome.
Système solaire.
    De même, grâce à son aptitude à manier les mathématiques et les statistiques, l’adulte va obtenir des réponses qui s’approchent de plus en plus de la réalité [cf : Des capacités pré établies] et pourront même être attestées par l’expérimentation.
    C’est ainsi que la structure de l’atome, inspirée par la connaissance de notre système solaire, a pu être précisée par toutes les données de la physique théorique, avant d’être prouvée.

« Les fonctions mentales évoluent de façon continue
au cours de l’évolution des espèces. »
D’où nous vient cette pensée qui s’exerce en l’absence de tout support ?

B – La super-conscience de l’enfant :

    a – La conscience de l’adulte :
    Une expérience entreprise sous la direction de Geraint Rees (university collège de Londres) a été menée auprès de 32 personnes. Elles devaient discerner le motif le plus contrasté parmi d’autres motifs rayés présentés sur un écran. Puis on leur demandait de noter, de 1 à 6, le degré de confiance qu’elles apportaient à leurs réponses.

    Celles-ci, comparées aux images de leurs cerveaux réalisées par IRMf durant l’expérience, ont montré que le cortex préfrontal antérieur est plus développé et plus connecté à d'autres zones du cortex chez les sujets les plus sûrs de leur jugement, ce qui indique la collecte du plus grand nombre d’informations possible.
    L’exercice de l'introspection, qui consiste à rassembler un maximum de données pour être sûr de son jugement, peut donc aboutir à des résultats variables.


    Toutefois, si c’est bien le cortex préfrontal antérieur qui va déterminer le choix final, ce n’est pas pour autant qu’il peut être désigné comme le siège de la conscience dans le cerveau.

    b – Comment les bébés voient le monde ?
    Le regard des psychologues sur les enfants de moins de trois ans s'est lui aussi radicalement transformé [cf : Piaget] au cours de ces dernières décennies...

    Là où le psychologue Jean Piaget avait conclu à des capacités cognitives limitées, les chercheurs de la fin du XXe siècle ont au contraire découvert :
- Une capacité innée au calcul arithmétique,
- La mise en oeuvre d'un tri statistique,
- La capacité de savoir extraire des règles de cause à effet entre différents phénomènes.

    Quelle différence entre Piaget et les chercheurs actuels ? La capacité de disposer du maximum de données fiables pour aboutir à un jugement sûr. Les chercheurs de l’époque de Jean Piaget n’avaient en effet guère que leurs intuitions et leur bon sens pour faire avancer la connaissance.

    Si certaines fonctions cognitives - sensorielles, motrices, associatives, mémorielles – dépendent du développement du cerveau et ne deviennent opérationnelles qu'à partir d'un certain âge, leur harmonisation globale évolue en permanence de la naissance jusqu'à l'âge adulte.
Toutefois, connaître les capacités innées de l’enfant ne permettait pas jusqu’ici d’accéder à ses pensées. Aujourd’hui, cette connaissance est possible.

    Pour Alison Gopnik (professeur de psychologie de l'université de Berkeley – Californie), si les enfants sont autant fascinés par le monde qui les entoure, c'est qu'ils sont en contact avec la réalité de manière incroyablement plus forte et directe que les adultes.
    Ancrés dans un présent qu’ils n’ont de cesse de découvrir, ils ne se projettent pas dans un avenir improbable et voient des choses que les adultes ont perdu de vue.

    L’expérimentation montre aussi ce que l'attention des enfants a de spécifique : elle subit davantage l’influence des événements extérieurs que celle de leur propre volonté.

    Ils manifestent seulement leur aptitude à s'intéresser à ce qui les entoure, à découvrir et à apprendre.
    Tel est aussi le comportement des chercheurs toujours à l'affût de découvrir, apprendre et comprendre...

    Ainsi, on pourrait dire que ce mode de comportement est l’aboutissement même de l’évolution des capacités cognitives dans le règne animal : découvrir le monde et s’y adapter dans le but d’y survivre.

« La pensée du bébé s’exerce sans filtre frontal. »


    c - Comment le bébé accède-t-il au monde ?
    L'une des expériences qui a permis de répondre à cette question a consisté à présenter une série de deux cartes à des enfants et à leur demander de n’en retenir qu'une (celle de gauche par exemple).
    Puis, on les a interrogés, non seulement sur la carte proposée, mais sur les deux...

     Les chercheurs on alors constaté une différence surprenante :
- les plus petits des enfants se sont montrés moins doués que leurs aînés pour retenir la carte initialement désignée.
- mais ils sont révélés meilleurs pour se souvenir de la carte de droite qu'ils n'étaient pas censés mémoriser.

    Ainsi l’enfant, mu par sa curiosité, n’est pas spécialement enclin à se laisser influencer par autrui. Capable d’observer tout ce qui l’entoure, il va plus facilement mémoriser ce qui l’attire. S'il s'interroge, son interrogation serait plutôt : « ces deux cartes sont semblables, qu’a de spécial celle de droite, que je ne doive pas la mémoriser ? »

    C’est plus tard, après avoir appris à suivre les indications des adultes qu’il s’attachera à mémoriser ce qui lui a été suggéré. Il ne verra plus l’ensemble des choses, mais les seuls éléments sur lesquels on a attiré son attention.

Je vois avant tout ce qui m’intéresse.

Je vois maintenant ce à quoi je dois m’intéresser.

... Il aura alors acquis la vision du groupe...
    Ainsi, seuls les enfants se montrent capables de voir, et s’ils conservent leur propre vision du monde, ce sont eux qui feront évoluer la pensée collective. D’ailleurs, n’est-ce pas eux qui, à l’adolescence, se rebellent lorsque la société leur impose de ne voir qu’une partie de la réalité ? En bien des circonstances, ils sont les premiers à entrer en lutte contre les injustices et à prendre conscience des vrais besoins.

;Pourtant, ils devront un jour choisir entre trois comportements :
    - Rentrer dans le moule et ne voir qu’un seul aspect de la réalité,
    - Se révolter et s’opposer à tout,
    - Conserver une vision de l’ensemble de la réalité et faire le meilleur choix pour transformer le monde et assurer leur avenir.

        Intérêt pour soi-même...

...Ignorance de l'autre...        

...ou partage.

    Cette expérience de mémorisation de cartes dénote l’incapacité des plus petits à maintenir leur attention sur un objectif suggéré.
L’attention du tout petit est guidée avant tout par la nouveauté. Cette attention nourrit aussi sa mémoire.
En 2004 la psychologue Robyn Firrish de l'université Emory à Atlanta a analysé le comportement d'enfants de deux ans se promenant dans un zoo avec leur maman.
Quelques jours plus tard, la maman demande à son enfant de lui raconter ce qu'ils ont fait.
La psychologue a constaté que si les petits peuvent décrire certains événements (une action de l'éléphant par exemple) c'est, presque toujours, en écho à ce que leur maman a exprimé au cours de la visite. Ce fait peut être relié à la confiance que l’enfant porte à sa mère [cf : L’apprentissage grâce à la confiance] : en agissant ainsi, il renforce également le lien affectif avec elle.

    Si, durant cette visite, elle n'a pas porté son attention sur l'éléphant, l'enfant n'en parlera pas.
Si la curiosité du tout petit est ouverte sur tout ce qui l’entoure, nous savons aussi qu’il fait confiance à son entourage pour savoir ce qu’il est important de retenir. Ainsi, en s'intéressant au zoo, et à aux animaux qu’il ne connaît pas encore, il ne choisira pas de lui même l’un d’entre eux. C’est l’intérêt de sa mère pour l’éléphant qui l’amènera à le remarquer car, en agissant ainsi, il renforce le lien affectif avec elle.

    L’attention et la mémoire du tout-petit semblent donc se construire essentiellement en fonction des événements extérieurs et des liens affectifs qu’il établit avec les autres. C’est ainsi qu’en développant ses connaissances, il va développer aussi ses liens d’appartenance.

    Toutefois, certains chercheurs considèrent que ses choix ne sont pas conscients.

    Ce fonctionnement nous permet de comprendre en quoi le bébé se différencie de l’adulte : il découvre les choses avec ses seuls sens, alors que l’adulte va répondre à deux types d’injonctions contradictoires : celles de sa propre nature sensible, et celles de la société dans laquelle il vit.


    L’adulte doit bien souvent refouler ce qu’il ressent sous la pression collective. La conscience innée de ses besoins et de ses émotions va donc s’estomper et même sembler disparaître dans ce qu’il est convenu d’appeler « L’Inconscient ». Pourtant, celui-ci va poursuivre son travail de reconnaissance et d’analyse comme il le faisait au cours de la petite enfance.

    L’enfant serait-il donc inconscient, c'est-à-dire incapable d’avoir conscience comme l’adulte ?
Serait-il préconscient comme le pensent d’autres chercheurs tels Sid Kouider, (spécialiste de la conscience au laboratoire de science cognitive et psycho linguistique de l’ENS) : il se contenterait alors d’assimiler les informations en provenance d’un environnement très riche, sans pouvoir les traiter efficacement en l’absence d’un cortex préfrontal mature.

    Ce qui est certain, c’est que son ouverture d’esprit lui permettra plus tard d’accéder à la conscience de l’adulte pour développer ses découvertes et connaissances.

Esprit ouvert sur le monde environnant…

…puis ouvert à la réflexion.

    C’est ainsi que le bébé pourra ressentir la faim, ou les émotions de son vis-à-vis, mais sans posséder la connaissance des mécanismes de la faim ou de la satiété, ou les raisons de l’émotion éprouvée : il aura besoin du langage pour cela.

    L’enseignement qui lui sera prodigué prolongera-t-il son ouverture sut la beauté et la richesse de l’univers dans lequel il vit, ou l’engagera-t-il dans des impasses ?

Les découvertes grâce à la science…

…ou la solution immédiate.

C – L’importance du cortex frontal :

    Nous savons que, dans le cerveau de l’adulte, la capacité à focaliser son attention dépend d'une zone particulière : le cortex frontal] qui va traiter l’information en ignorant tout le reste, ce qui implique un choix [cf : Le cortex frontal oriente et focalise l'attention].
Mais le cortex frontal n’y parvient pas immédiatement : sa maturation demande de nombreuses années. C’est ainsi qu’incapable de faire des choix, l’attention de l’enfant demeure ouverte à tout ce qui sollicite ses sens.

Maturation du cortex frontal entre 4 et 20 ans.

    Comment se fait la maturation du cortex ?
- De 0 à 3 ans : le cerveau est totalement formé, mais il doit poursuivre son développement. Les régions cérébrales vont peu à peu s’interconnecter. Les sons, les images, et toute autre sensation créent une intense activité que le bébé ne contrôle pas.
En effet, durant cette période, ses neurones frontaux sont quasiment dépourvus de myéline, dont la fonction est de faciliter la transmission des influx nerveux.
L’influence du cortex frontal étant limitée pour cette raison, l’exploration du monde environnant par le cerveau va être favorisée.
- De 4 à 10 ans : le contrôle conscient des informations commence à se mettre en place, tandis que les connexions synaptiques se renforcent ou disparaissent en fonction des besoins et des conditions environnementales..
- De 10 à 15 ans : les régions du cerveau qui parviennent à maturité lors de cette période sont essentiellement les régions somato-sensorielles et visuelles.
- De 15 à 20 ans : le cortex frontal, en charge de l'intégration d’informations complexes (raisonnement, décisions...) dont l’essentiel est dicté par la collectivité, achève sa maturation en terminant par celle du cortex préfrontal dorso latéral, essentiel au maintien de l'attention.

    Durant cette longue période, la production de nouveaux neurones est très importante, car le cortex frontal a la responsabilité de faire le tri entre les différents comportements.

    C'est aux environs de 20 ans que les comportements seront déterminés et les pôles d’intérêt fixés : il deviendra alors très difficile de revenir en arrière et d’échapper aux conditionnements acquis.

« La maturation du cortex frontal, siège des choix
et du contrôle conscient,
commence à 4 ans et s’achève à 20 ans. »


D – La conscience « étendue » des enfants :

    a – L’esprit de l’enfant ? Un esprit ouvert sur le monde :

    Difficile de comprendre une telle transformation du mode de pensée si on compare la conscience de l’adulte à celle de l’enfant avant 3 ans.

    Ainsi, avant trois ans, justement parce que le cortex frontal ne peut encore filtrer et hiérarchiser les informations, le cerveau se laisse pénétrer par les perceptions sensorielles, les émotions et les souvenirs... Il est totalement éveillé à la vie, et il le sera tant que l'éducation n'aura pas imposé d’autres choix dans la hiérarchie des comportements à adopter.


    A quoi peut-on comparer cet état particulier ? Une piste a été proposée en 2004, par Raphaël Malach, de l'institut des sciences de Weizmann (Israël). Pour cela, il a enregistré l'activité cérébrale de cinq adultes au cours d’un long-métrage cinématographique.
Il a constaté, qu’à l’instar des bébés, les cortex frontaux de ces spectateurs étaient inactifs : tous se laissaient porter par le film, les images et les sons.
Cette expérience va dans le sens de l'hypothèse d'Alison Gopnik d'une conscience étendue des très jeunes enfants.

    L’esprit de l’enfant est ouvert en permanence, et il est en prise avec la seule réalité. Les déductions auxquelles il aboutit sont avant tout logiques. Ne possédant pas encore le langage, il ne se laisse pas enfermer dans les contradictions de l’adulte.

    La longue période d’immaturité de son cortex frontal lui permet de développer sa véritable personnalité dans un monde concret d’où le brouhaha des interprétations adultes est exclu.

    Mutatis mutandis, on peut comparer l’expérience des enfants à celle qu’a faite Einstein en 1887, à partir du « silence des détecteurs ». A cette époque, la science ne pouvait expliquer comment les ondes électromagnétiques pouvaient se propager dans le vide puisque toute onde avait besoin d’un support matériel. L’expérience mise en œuvre pour détecter l’existence d’un « éther » ayant échoué, la voie était libre pour élaborer une nouvelle théorie, celle de la relativité.
De même c’est en dehors des influences et uniquement par lui-même que l’enfant peut découvrir et apprendre au cours des premières années de sa vie.

« L'ouverture d'esprit est le domaine de l'enfant. »

    Pourtant, si l’on envisage l’idée que les tout-petits seraient conscients, de quelle conscience pourrait-il s'agir?
- Serait-ce la conscience que les philosophes appellent « conscience d'accès» qui nous permet d’agir rationnellement et qui correspond à la manipulation d'informations et à leur mémorisation à court terme,
- ou serait-ce celle qu’ils désignent sous le nom de « conscience phénoménale» qui rend compte des ressentis perceptifs et émotionnels ?

La construction de la conscience.

    La forme d'attention qui caractérise les enfants est plus proche de la conscience phénoménale que de la conscience d'accès. Ouverte sur le monde réel, et portée par la richesse de sa sensibilité, elle paraît plus aboutie que celle de l’adulte qui se montre le plus souvent incapable d’embrasser l’ensemble de la réalité.
    La conscience d’accès, qui caractérise l’adulte, se construit au cours des années : elle est le résultat de la focalisation sur un but, un projet. En excluant une grande partie des informations qui ne concernent pas l’objectif fixé, elle devient plus précise et offre une plus grande capacité d’action. Mais, en se spécialisant dans l’action, elle perd l’essentiel de ce qui constitue la conscience : l’ouverture sur la connaissance.

Ce qui est !
Ce qui peut être fait !
    La focalisation de l’attention sur un seul objectif peut facilement devenir une restriction de la conscience.

La focalisation de la conscience peut exclure l’essentiel.

    Pourtant, les chercheurs se trouvent face à une impasse... Car le bébé ne peut exprimer ce qu'il ressent, et on ne possède pas les moyens de le mesurer.

« La conscience phénoménale est issue de la perception sensible.
Elle est à la base de la construction de la conscience d’accès qui permet d’agir avec justesse. »

        b – L’esprit de l’enfant ? Un esprit semblable à celui des scientifiques :

    Nous savons que les bébés, dès les premiers mois de leur vie, utilisent les statistiques pour acquérir le langage. C’est toujours grâce à elles qu’ils sont capables d’élaborer des hypothèses sur les causes d'un événement [cf : Comment voit-on que l’enfant est conscient ?].
    Cela indique qu’ils ont non seulement conscience de ce qu’ils perçoivent, mais qu’ils sont capables de faire des déductions concernant des faits qui échappent à leur compréhension immédiate. Ce qu’ils déduisent repose sur la réalité des faits et non pas sur leur imaginaire [cf : Comment les bébés voient le monde ? ].

    Alors, les bébés seraient-ils des scientifiques avant l’heure ?
En 2002, la psychologue Alison Gopnik, de l'université Berkeley, a réalisé une expérience où elle demandait à des enfants de trois ans de déterminer, entre deux cubes (un noir et un blanc) lequel amenait un troisième cube à faire entendre une musique et à émettre de la lumière.


    La machine se mettait en route lorsque le bloc blanc seul, ou les blocs blanc et noir, étaient posés dessus.
La plupart des enfants en ont tiré une conclusion logique : seul le bloc blanc faisait réagir le cube.

    Outre cette capacité de raisonnement causal, Tamar Kushnir de l'université Cornel (États-Unis) a montré que des enfants de 20 mois seulement utilisent les statistiques pour en déduire les préférences d'autrui.
Invités à choisir un jouet à offrir à un adulte, les enfants le font en fonction des choix précédents de l'adulte qu'ils ont observés. Si l'adulte a préalablement extrait plusieurs jouets dont le type est pourtant en minorité dans la boîte, c'est qu'il le préfère.
    L’enfant n’est donc pas seulement à l'écoute du monde, il est aussi à l'écoute de l'autre, et dans les conclusions auxquelles il aboutit il n’y a de place que pour les faits avérés, ceux qui vont lui permettre de s’intégrer et communiquer en toute sécurité dans le monde où il vient de naître.

        c – L’esprit de l’enfant ? Un esprit capable d’ordonner le monde :

    Si un courant d’air survient dans une pièce remplie d’objets, va-t-il créer de l’ordre ou du désordre?
Quand découvrons-nous que seuls des agents doués d’intention peuvent ordonner le monde physique, et que les éléments naturels, lorsqu’ils exercent leur influence sur les objets, occasionnent au contraire le désordre ?
Karen Wynn de l’université Yale aux Etats-Unis et son équipe ont pu montrer que cette capacité apparaît avant l’âge d’un an.
Pour cela, ils ont étudié les réactions d’enfants de 3 à 6 ans.
Ils leur ont tout d’abord montré une image représentant la chambre d’un personnage, Billy. Puis, ils ont expliqué à la moitié d’entre eux que la sœur de Billy était venue dans la chambre et avait déplacé des objets, et à l’autre moitié que le vent était entré par la fenêtre.
Ils ont ensuite présenté aux enfants 2 images : sur l’une la chambre était rangée, sur l’autre elle était en désordre. Les enfants devaient indiquer, dans chacun des cas, qui était à l’origine du changement : le vent ou la sœur de Billy.

    Dans 88 % de leurs réponses, les enfants ont associé le désordre au vent, et dans 62 % le rangement à la sœur de Billy, sans toutefois être capables de justifier leur choix.


    Dans une expérience similaire menée cette fois avec des bébés de 7 et 12 mois, Karen Wynn et son équipe leur ont fait visionner des animations dans lesquelles une personne ou une balle se déplaçaient à travers un ensemble d’objets et modifiaient leur agencement. Ils ont constaté que lorsque la balle créait de l’ordre, les bébés âgés de 12 mois regardaient la scène plus longtemps que dans les autres situations, marquant ainsi leur surprise. En revanche, les bébés de 7 mois consacraient le même temps d’attention à toutes les animations.
Ils ont ainsi pu en déduire que si les bébés ont très tôt l’intuition que les objets ne peuvent pas créer de l’ordre, ils ne l’ont pas encore à 7 mois.

Mise en désordre.
Mise en ordre.
    Restait à savoir quelle est la part de l’inné et de l’acquis dans la compréhension du lien qui existe entre l’ordonnancement des choses et la nécessité d’un agent doué d’intention.

    Une 3e expérience a permis de montrer que cette aptitude n’est pas le résultat d’un apprentissage. En effet, les bébés d’un an la possèdent même si on les a familiarisés à des situations au cours desquelles des objets créent de l’ordre (par exemple, un cube télécommandé, dont les roulettes sont cachées, va aligner d’autres cubes).
On sait par ailleurs que les bébés distinguent l’ordre du désordre et les agents des objets inanimés des l’âge de3 mois, ce qui peut surprendre quand on sait que ce n’est pas avant trois à six ans qu’ils parviennent à expliquer cette relation.

Une longue période s’avère donc nécessaire pour que la connaissance intuitive, peut-être innée, soit complétée par la connaissance sociale.

« Il existe chez l’enfant une connaissance primitive du monde qui repose sur ses sens.
Cette connaissance s'impose alors même que le langage verbal est incapable de l'expliquer. »

E – la conscience et le soi :

    a – La place de l’enfant dans l’évolution du soi conscient :

    - Le soi au cours de l’évolution :
    Pour le professeur Antonio Damasio, professeur de neurosciences, de neurologie et de psychologie, le soi est un processus dynamique qui apparaît et évolue chez les êtres vivants. L’activité mentale qui lui donne naissance est générée dans les réseaux de neurones qui existent dans tous les organismes dotés d’un système nerveux suffisamment complexe.

Le ver annélide Platynereis dumerilii.

    Dans un premier temps, la fonction de ces réseaux a été de réguler l’équilibre homéostatique de l’organisme. Pour cela, il était nécessaire qu’ils parviennent à différencier l’intérieur de l’organisme, c’est-à-dire ce qui est soi, de l’extérieur qui est à l’origine d’effets déséquilibrants.

    Plus tard, après des millions d’années d’évolution, ces mêmes réseaux nerveux ont acquis la capacité de créer des représentations neuronales du corps, et de perfectionner les stratégies d’action (recherche de nourriture, fuite, combat) visant à conserver au mieux l’équilibre homéostasique.
On peut alors parler de Soi primordial ou protosoi.

La perception du Soi primordial est liée à l’existence
des représentations du corps dans le cerveau.
Représentations neuronales du corps dans le cerveau.
(Homoncule de Penfield)
    Ces représentations sensorielles et motrices ont pour fonction de percevoir le corps et de le faire évoluer par le biais des sensations, puis des sentiments. Ces sentiments primordiaux seraient à l’origine du sentiment d’existence.


- Sentiment primordial et homéostasie :
    Le sentiment primordial, qui consiste à percevoir son propre corps, est le premier de tous les états conscients. Relié aux limites du corps qui nous définissent, il détermine ce qui est Soi en excluant tout ce qui est Autre.

    Comment l’évolution s’est-elle faite ?
Les structures du tronc cérébral qui permettent la perception du corps sont à l’origine du protosoi. C’est en effet la perception de tous les stimuli extérieurs qui fait naître la conscience de ce corps.

A la sensation du corps « présent et vivant », s’ajoute celle du corps modifié par le monde extérieur, sensation que l’on peut interpréter comme « conscience d’un monde extérieur ». En effet, nous ne ressentons le monde que par les sensations qu’il produit sur notre corps et sur ses fonctionnements internes.

Sensation du corps présent et en action.
Sensation du corps par les effets produits par l’environnement.

    Ce monde extérieur deviendra « réel » lorsque d’autres régions du cerveau lui donneront forme.

- Apparition du sentiment d’une pensée personnelle :
    A quel moment peut-on déterminer qu’une pensée est notre pensée et non celle d’un agent extérieur ?
Ce sentiment d’appartenance apparaît en même temps que s’impose le sentiment du corps personnel.
À partir du moment où le Soi perçoit les modifications de son corps entraînées par un souvenir, la sensation du moment, le projet à venir ou la pensée de sa propre mort, la perception de tous ces éléments crée des émotions et des sentiments, qui lui permettent de localiser et séparer les contenus qui lui appartiennent de ceux qui appartiennent au Soi des autres.
Le sentiment d’une pensée personnelle apparaîtrait donc en même temps que le sentiment du corps personnel.


- Le lieu du Soi :
    Pourtant, bien que la perception sensible soit largement représentée au niveau du cortex, et que le développement des processus conscients soit observé à sa surface [cf : Mise en évidence de l'un des réseaux de la conscience], ce sont des structures du tronc cérébral, et plus particulièrement le noyau parabrachial et le noyau du tractus solitaire, qui sont les premières à faire naître des sentiments.

Développement des processus conscients dans le cortex.

Structures à l’origine de la conscience dans le tronc cérébral.

    En effet, les lésions du cortex cérébral, siège supposé de la conscience, n’empêchent pas la perception consciente de l’environnement et la manifestation d’états conscients.

    De même, les lésions bilatérales de l’insula, une région du cortex qui participe au traitement d’une grande variété d’émotions et de sentiments, n’empêchent pas les patients de ressentir douleur, plaisir, et même des sentiments à l’égard d’autrui.


    b – La place du tronc cérébral dans l’évolution de la conscience :

    On sait que certains enfants nés sans cortex cérébral, présentent eux-aussi des comportements que l’on attribue généralement à la conscience. Malgré l’absence de cortex et même de structures neurologiques comme le thalamus ou les ganglions de la base, ils rient quand on les chatouille, sourient en voyant des jouets, se montrent heureux en présence de leur mère, aiment ou n’aiment pas certains morceaux de musique. Leur corps exprime la vie et interagit avec le monde environnant. On peut dire qu’ils possèdent une forme de conscience de soi conforme à celle des autres bébés.

    En revanche, des adultes dont le cortex cérébral est intact, mais qui ont subi des lésions dans de petites régions du tronc cérébral, perdent souvent la capacité d’éprouver des sentiments, primordiaux ou non.
Le tronc cérébral, structure primitive du système nerveux, apparaît donc à la base du fonctionnement de la conscience ; il en révèle le véritable rôle, qui est de connaître pour agir. On découvre sa complexité dans les étages supérieurs, particulièrement développés chez l’homme, mais on ne peut affirmer qu’il s’agit d’une caractéristique spécifiquement humaine.

Anatomie du tronc cérébral.

    Qu’en est-il alors de la pensée de l’enfant ?
Les adultes rattachent à ce qu’ils nomment « inconscient » les pensées qui échappent à leur conscience. Elles émergent en effet d’une activité cérébrale dont seul le résultat final leur parvient [cf : L'inconscient génère ses propres pensées]. L’adulte a perdu la capacité de penser directement avec sa pensée primitive, mais l’enfant ne pourrait-il être conscient grâce à elle (comme toutes les espèces vivantes dotées d’un système nerveux complexe) ?



    - On pourrait alors comprendre que l’état de vacuité, auquel il est possible d’accéder dans certaines techniques de méditation au cours duquel le cortex frontal est mis au repos, aboutisse à la perception d’exister autrement.

    - Concernant le sommeil paradoxal, on pourrait également comprendre que, pendant le rêve, nous fonctionnons avec cette pensée primitive qui œuvre en nous et dont nous avons alors conscience… jusqu’au moment ou notre pensée inhibitrice du quotidien en efface tout souvenir au réveil !

    La conscience semble donc pouvoir se passer des structures les plus récentes et les plus abouties de notre cerveau : elle ne dépendrait plus alors que de minuscules régions du tronc cérébral capables de répertorier des informations et de collaborer pour faire émerger la conscience.

Se pose alors la question de ce que peut être l’intelligence et la conscience des mammifères, reptiles et insectes.


    En ce qui concerne les cellules, nous connaissons les extraordinaires capacités de l’ADN [cf : adn et mémorisation], et nous savons que les cellules, dont il organise construction et fonctions, peuvent s’assembler et collaborer par milliards pour élaborer autant d’organismes totalement différents, mobiles, intelligents, et parfaitement adaptés à leur environnement.

    Si l’on considère la Terre comme un gigantesque organisme dont chaque individu participe à la vie commune, on peut comparer l’être humain à un neurone qui tisse sa toile pour accéder à la conscience globale du monde dans lequel il vit.


    Mais, aujourd’hui, la conscience individuelle de l’homme peine à évoluer en conscience collective capable d’assurer les mutations indispensables à sa survie.

    L’Évolution a prouvé qu’avec le temps, elle trouvait une solution à tous les problèmes, mais il lui a fallu des milliards d’années pour y parvenir.
Pendant le développement du règne animal, citons celui des dinosaures, elle a dû parfois revoir sa copie et innover, favorisant dans ce cas le développement des mammifères.
Quant à l’espèce humaine, le temps pourrait être compté, sauf à accéder à une véritable conscience collective qui admettrait la réalité et non la satisfaction de ses seuls désirs.

« La pensée humaine adulte nous démontre à chaque instant les limites de sa conscience…
Serait-ce alors le mode de pensée de l’enfant qui ouvrirait l’accès à la Conscience ? »











Quatrième étape vers l'interprétation des rêves : (suite)